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SCÈNE V.

PANDOLPHE.

— Avant la cure d’une forte maladie, — c’est au moment même du retour à la santé — que la crise est la plus forte : les maux qui prennent congé de nous — nous prouvent surtout à leur départ leur malignité. — Qu’avez-vous donc perdu en perdant cette journée ?

LOUIS.

— Tous mes jours de gloire, de joie et de bonheur.

PANDOLPHE.

— Si vous aviez gagné la journée, certes vous les auriez perdus. — Mais non ! non ! C’est quand la fortune veut le plus de bien aux hommes, — qu’elle les regarde de son œil le plus menaçant. — C’est étrange de penser combien le roi Jean a perdu — par ce qu’il tient pour une conquête si claire. — N’êtes-vous pas désolé qu’il ait Arthur pour prisonnier ?

LOUIS.

— Aussi cordialement qu’il est heureux de l’avoir.

PANDOLPHE.

— Votre pensée est tout aussi juvénile que votre sang. — À présent, écoutez-moi, je vais vous parler avec un esprit prophétique ; — le souffle même de ma parole — va balayer la moindre poussière, le moindre fétu, le plus léger obstacle — du sentier qui doit mener — vos pas droit au trône d’Angleterre ! Ainsi, suivez-moi bien : — Jean a pris Arthur, et, — tant que la flamme de la vie se jouera dans les veines de cet enfant, — il est impossible que l’usurpateur Jean ait une heure, — une minute, que dis-je ? un souffle de calme répit. — Un sceptre saisi d’une main effrénée — doit être gardé aussi violemment qu’il a été acquis. — Celui qui se tient sur une place glissante — n’a pas scrupule de s’accrocher au plus vil appui. — Pour que Jean se soutienne, il faut qu’Arthur tombe. — Ainsi soit-il, puisqu’il n’en peut être autrement.