Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Hugo, Pagnerre, 1868, tome 4.djvu/246

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
242
BEAUCOUP DE BRUIT POUR RIEN.

BÉNÉDICT.

Au saule pleureur le plus prochain, pour affaire qui vous concerne, comte. De quelle façon porterez-vous votre couronne ? Autour du cou, comme une chaîne d’usurier ? ou sous le bras, comme une écharpe de lieutenant ? Il faut que vous en portiez, de manière ou d’autre : car le prince a conquis votre Héro.

CLAUDIO.

Je lui souhaite beaucoup de jouissance avec elle.

BÉNÉDICT.

Voilà vraiment le langage des bons bouviers : c’est là leur mot quand ils vendent un taureau. Mais croyez-vous que le prince vous aurait servi ainsi ?

CLAUDIO, impatienté.

Je vous en prie, laissez-moi.

BÉNÉDICT.

Oui-dà, vous frappez comme l’aveugle : c’est un gamin qui a volé votre dîner, et vous battez le poteau !

CLAUDIO.

Si ce n’est pas vous, c’est moi qui sortirai.

Il s’en va.
BÉNÉDICT.

Hélas ! pauvre oiseau blessé ! Le voilà qui va se réfugier dans les joncs… Mais que madame Béatrice m’ait ainsi désigné sans me reconnaître ! Le bouffon du prince ! Ah ! je pourrais bien avoir vraiment ce sobriquet-là : je suis si gai !… Mais non, je suis trop prompt à me faire injure : je n’ai pas une telle réputation : Béatrice a cette habitude fort vulgaire, quoique fort ridicule, de prendre sa personne pour le monde entier, et c’est elle seule qui m’appelle ainsi. C’est bon. Je me vengerai comme je pourrai.

Don Pedro revient.