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SCÈNE V.

bonne armure ; et maintenant il tourne au pédant ; sa conversation est un banquet fantasque où chaque mot est un mets étrange. Se pourrait-il qu’ayant toujours les yeux que voici, je subisse pareille fascination ? Je ne puis rien dire, mais je ne le crois pas. Je ne jurerais pas qu’il est impossible à l’amour de me transformer en huître ; mais je fais le serment qu’avant d’avoir fait de moi une huître, il ne fera jamais de moi un fou pareil. Une femme est jolie, je n’en suis pas plus mal ; une autre est spirituelle, je n’en suis pas plus mal ; une troisième vertueuse, je n’en suis toujours pas plus mal. Il n’est pas de femme qui puisse trouver grâce devant moi, jusqu’à ce que toutes les grâces soient rassemblées dans une femme unique. Celle-ci devra être riche, c’est certain ; spirituelle, ou je ne voudrai pas d’elle ; vertueuse, ou je ne la marchanderai jamais ; jolie, ou je ne la regarderai jamais ; douce, où elle ne m’approchera pas ; noble, ou je ne la prends pas, fût-elle un ange ! avec cela, d’une élocution parfaite, excellente musicienne ; et quand à ses cheveux, ils devront être de la couleur que Dieu leur aura donnée… Ah ! Voici le prince et monsieur Cupidon ! Cachons-nous sous cette tonnelle.

Il se retire à l’écart.
Entrent Don Pedro, Léonato et Claudio, puis Balthazar et des musiciens.
DON PEDRO.

— Eh bien ! entendrons-nous cette musique ?

CLAUDIO.

— Oui, mon bon seigneur… Comme la soirée est calme ! — On dirait que par son silence elle veut préluder à l’harmonie !

DON PEDRO, bas, à Claudio.

— Voyez-vous où Bénédict s’est caché ?