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SCÈNE VI.

HERO.

— Ô Dieu d’amour ! je sais qu’il est digne — de tout ce qui peut être accordé à un homme. — Mais la nature n’a jamais fait un cœur de femme — d’une étoffe plus fière que celui de Béatrice ; — le dédain et la morgue étincellent dans ses yeux — qui méprisent tout ce qu’ils regardent, et son esprit — s’estime si haut que pour elle — toute autre chose est chétive : elle ne peut aimer, — ni concevoir aucune impression, aucune pensée affectueuse, — tant elle est éprise d’elle-même ?

URSULE.

Je pense bien comme vous ; — et conséquemment il ne serait pas bon sans doute — qu’elle connût l’amour de Bénédict : elle s’en ferait un jeu.

HÉRO.

— Oui, tu dis vrai. Je n’ai pas encore vu un homme, — si spirituel, si noble, si jeune, si parfaitement beau qu’il fût, — qu’elle n’ait repoussé par ses exorcismes. Est-il blond ? — elle jure qu’on prendra le galant pour sa sœur ; — Est-il brun, c’est un grotesque que la nature en dessinant — a barbouillé de noir ; grand ? c’est une lance à tête biscornue ; — petit ? c’est un camée négligemment taillé ; — parleur ? c’est une girouette tournant à tout vent ; — silencieux ? alors c’est une bûche que rien n’émeut. — Il n’est pas d’homme qu’elle ne retourne ainsi à l’envers : — et jamais elle n’accorde à la vérité et à la vertu — ce que réclament la franchise et le mérite.

URSULE.

— Bien sûr, bien sûr, ce dénigrement n’a rien de louable.

HÉRO.

— Non, sans doute, cette manie bizarre — de Béatrice, n’a rien de louable. — Mais qui osera le lui dire ?