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INTRODUCTION.

connu. Nous nous démenons, nous nous agitons, nous nous émouvons, nous nous évertuons, et nous ne voyons pas, myopes d’esprit que nous sommes, à quoi aboutiront toutes ces émotions, toutes ces agitations, tous ces efforts. La Providence laisse à notre libre arbitre les quatre premiers actes, mais elle se réserve le cinquième. Elle concède à l’homme l’entreprise, mais elle détient le succès. Elle lui abandonne le droit de déclarer la guerre, mais elle garde celui de proclamer la victoire. Dès qu’il veut pénétrer l’avenir, l’homme en est réduit au tâtonnement ; pour prévoir le certain, il faut qu’il se fie à l’incertain. De là, toutes ces déceptions dont l’histoire cite les plus fameuses. La Providence déjoue incessamment le calcul de nos probabilités, et, dans les petites comme dans les grandes choses, elle donne à la conjecture le démenti continuel de l’événement ; de nos espérances, elle fait des illusions ; de nos joies, des chagrins, de nos précautions, des imprudences. Nos accusations, elle les change en calomnies ; nos défis, en bravades ; nos désespoirs, en ravissements !

Cette incertitude des choses, qui inquiète tant les heureux de ce monde et qui console tant les malheureux, fait le sujet d’une des œuvres les plus charmantes de l’esprit humain. Dans Beaucoup de bruit pour rien, Shakespeare a représenté d’une manière frappante le contraste qui existe entre la vie, telle qu’elle semble être dans ses manifestations, et la vie telle qu’elle est dans son essence. Là, le poëte a mis sous nos yeux une série non-interrompue d’incidents qui sont en apparence tout différents de ce qu’ils sont en réalité. Beaucoup de bruit pour rien est une sorte de carnaval où les événements arrivent tous travestis, pour se démasquer en public les uns après les autres.

Tout d’abord, voici don Pedro qui semble rechercher