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SCÈNE VIII.

ANTIGONE.

Viens, pauvre enfant ! — J’ai ouï dire, sans le croire, que les esprits des morts — peuvent revenir ; si cela est, ta mère — m’est apparue la nuit dernière ; car jamais rêve — n’a ressemblé autant à la réalité. Il est venu à moi une créature — la tête penchée tantôt d’un côté, tantôt de l’autre. — Je n’ai jamais vu un vase de douleur — si plein et si gracieux. Dans une pure robe blanche, — pareille à la sainteté même, elle s’est approchée — de la cabine où j’étais couché ; trois fois elle s’est inclinée devant moi ; — comme elle ouvrait la bouche pour parler, ses yeux — sont devenus deux torrents ; et leur fureur une fois apaisée, aussitôt — elle a laissé tomber ces mots : « Bon Antigone, — puisque le Destin, en dépit de tes plus généreuses dispositions, — t’a fait le proscripteur — de ma pauvre enfant, en vertu de ton serment, — il est en Bohême des contrées assez lointaines ; — va donc là, en pleurant, pour l’y abandonner à ses cris ; et puisque l’enfant — est réputée perdue à jamais, appelle-là, je te prie, — Perdita ; en expiation de cette mission inhumaine, — que t’a imposée mon seigneur, tu ne reverras plus jamais — Pauline, ta femme ! » Et sur ce, avec des sanglots, — elle s’est fondue dans l’air. Épouvanté d’abord, — je suis bientôt revenu à moi, et il m’a semblé — que tout cela était réel, et non une vision. Les songes sont des puérilités, — cependant, je suis superstitieux pour cette fois, — et je veux me laisser inspirer par celui-ci. Je crois — qu’Hermione a subi la mort, et — qu’Apollon désire, (cette enfant étant, en effet, fille — du roi Polixène,) qu’elle soit déposée, pour y vivre ou pour y mourir, sur les terres — de son père véritable.

Il dépose l’enfant à terre, puis met près d’elle un paquet et un sac plein d’or.

Fleur, puisses-tu prospérer ici ! — Repose là… Voici