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CINQUANTE-SIXIÈME HISTOIRE TRAGIQUE.

entre les Siciliens. Cette demoiselle s’appelait Fénicie[1], belle entre les plus belles, gentille, courtoise, et qui, en bonne grâce et doux maintien, emporta celles qui, de son temps, vivaient en la royale cité de Messine. Or, Timbrée étant fort riche, comme celui qui ayant fait le devoir en toute expédition et par terre et par mer, se ressentait de la libéralité royale, ayant, outre sa pension, plus de douze mille ducats de rentes, nonobstant sa richesse, ni la grâce de son roi. Amour ne cessa de lui faire la guerre, et, ayant eu le dessus, le rendit son esclave sous le voile des grandes perfections de la beauté de Fénicie, laquelle était encore de fort bas âge, comme celle qui ne passait guère plus de quatorze à quinze ans. Timbrée ne faisait que passer et repasser devant le logis de Lionato pour y voir celle que déjà il adorait dans son âme. Or ne faut s’ébahir si Timbrée, quoique grand seigneur, étant comte de colisan et favori du roi, se contentait d’amouracher sa maîtresse des yeux seulement ; vu qu’en ce pays-là les femmes ne sont si familièrement visitées, je ne dirai pas qu’en France, mais encore qu’en plusieurs endroits d’Italie : d’autant une personne ne parle à elles que par procureur, si ce n’est ceux qui sont fort proches de sang. Fénicie, voyant ce seigneur aller ainsi tournoyant à l’entour de sa maison, et sachant quel il était, et de quelle valeur, le voyant vêtu fort richement et toujours bien accompagné, outre ce qu’il était beau, jeune, gaillard et gracieux, elle lui montrait bon visage, et lui la saluant, elle lui faisait courtoisement la révérence. Timbrée délibéra d’essayer par tout moyen de gagner l’amour déjà ébranlé de la fille, et d’en avoir la jouissance, car au mariage ne pensait-il point alors, comme n’étant elle de fille pareille avec lui. Il fit si bien que gagnant une vieille du logis de Lionato, il lui donna

  1. Héro.