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APPENDICE.

une lettre pour porter à sa dame. La vieille qui portait ce message, sachant la grande vertu de cette fillette, n’osait presque lui découvrir son fait, et ne s’y fût jamais enhardie, si elle n’eût vu Fénicie faire la révérence, étant en fenêtre, lorsque le seigneur de Cardone passait. Aussitôt que la fille fut sortie de la fenêtre, la messagère d’amour lui dit : — « Eh bien, ma fille, ce gentilhomme qui passe par là, est-il bien avant en vos bonnes grâces, puisque vous en faites si grand compte que de le saluer ? Que diriez-vous s’il était amoureux de vous et que pour cette occasion il vous caressât et honorât de telle sorte ! — Il me ferait grand honneur pourvu que son cœur s’égalât à la pureté du mien, qui ne désire d’aimer jamais un homme que celui à qui mes parents me donneront en mariage, ce qui ne peut être de ce seigneur qui est trop grand pour s’allier à notre maison. — Je ne sais ce que c’est (dit la vieille), ni à quoi il tend, mais voilà une lettre qu’il s’est enhardi de vous écrire, voyant le bon accueil que vous lui faites, lorsqu’il vous salue à la fenêtre. » Fénicie ouvrit la lettre et lut tout au long ce qui était contenu en icelle, de quoi elle rougit bien fort, puis s’adressant à la vieille, lui dit : « Je ne sais si le comte de Colisan pense que je sois quelque volage, mais d’une chose m’offensé-je bien fort en cette lettre, c’est qu’il me veut parler en secret et découvrir qu’il ne peut ouvrir à autre. De l’aimer autrement qu’avec le respect dû à mon rang et chasteté, jamais ne puissé-je vivre, si jamais cela tombe en mon esprit, ayant cela résolu en moi, que jamais l’amour n’entrera dans mon cœur que de celui que Dieu me réserve pour seigneur et mari. Plutôt Fénicie choisira la mort que l’amour, si, en aimant chastement, elle ne peut se garder entière en son honneur. »