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SCÈNE I.
avoir la pitance. Se font-ils vieux, on les chasse : — fouettez-moi ces honnêtes drôles !… Il en est d’autres — qui, tout en affectant les formes et les visages du dévouement, — gardent dans leur cœur la préoccupation d’eux-mêmes, — et qui, ne jetant à leur seigneur que des semblants de dévouement, — prospèrent à ses dépens, puis, une fois leurs habits bien garnis, — se font hommage à eux-mêmes. Ces gaillards-là ont quelque cœur, — et je suis de leur nombre, je le confesse. — En effet, seigneur, — aussi vrai que vous êtes Roderigo, — si j’étais le More, je ne voudrais pas être Iago. — En le servant, je ne sers que moi-même. — Ce n’est, le ciel m’est témoin, ni l’amour ni le devoir qui me font agir, — mais, sous leurs dehors, mon intérêt personnel. — Si jamais mon action visible révèle — l’acte et l’idée intimes de mon âme — par une démonstration extérieure, le jour ne sera pas loin — où je porterai mon cœur sur ma manche, — pour le faire becqueter aux corneilles… Je ne suis pas ce que je suis.
RODERIGO.

Quel bonheur a l’homme aux grosses lèvres, — pour réussir ainsi !

IAGO.

Appelez le père, — réveillez-le, et mettez-vous aux trousses de l’autre ! Empoisonnez sa joie ! — Criez son nom dans les rues ! Mettez en feu les parents, — et, quoiqu’il habite sous un climat favorisé, — criblez-le de moustiques. Si son bonheur est encore du bonheur, — altérez-le du moins par tant de tourments — qu’il perde de son éclat !

RODERIGO.

— Voici la maison du père ; je vais l’appeler tout haut.