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EXTRAIT DES HÉCATOMMITHI DE CINTHIO.

voix, et ayant découvert le lit, ils trouvèrent cette femme dessous les poutres, morte ! ce qui fut fort déplaisant à chacun pour la bonne vie d’icelle.

Le lendemain Disdemone fut ensevelie, au grand regret de ce peuple.

Mais Dieu qui regarde justement les cœurs des hommes, ne voulut pas qu’une si grande méchanceté demeurât impunie.

Car le More, qui avoit aimé sa femme plus que sa vie, s’en voyant privé commença à la désirer tant, que comme insensé, il l’alloit cherchant par tous les endroits de sa maison, et considérant en soi-même que l’enseigne avoit été cause, qu’il avoit perdu avec sa femme, toute la douceur de la vie, et encore soi-même, il eût le méchant en si grande haine, qu’il ne le pouvoit pas regarder, et s’il n’eût eu crainte de l’inviolable justice des seigneurs de Venise, il l’eût manifestement tué.

Mais ne le pouvant faire sûrement, il lui ôta l’enseigne, et ne le voulut plus en sa compagnie, et de la survint entre eux une très-grande inimitié.

Parquoi l’enseigne s’adonna du tout à nuire au More, et ayant trouvé le caporal qui étoit guéri, et qui alloit avec une jambe de bois, au lieu de celle que il lui avoit tranchée, il lui dit :

— Le temps est venu que vous pouvez vous venger de la jambe que l’on vous a coupée, et si vous voulez venir avec moi à Venise, je vous dirai qui est le malfaiteur ! Car je n’oserois pas le dire ici, pour plusieurs respects, et témoignerai un jugement pour vous.

Le caporal qui se trouvoit fort offensé, ne savoit pourquoi, remercia l’enseigne, et s’en alla à Venise, quant et lui.

Où quand ils furent arrivés, il lui dit, que le More lui avoit tranché la jambe, pour l’opinion qu’il avoit, qu’il