Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Hugo, Pagnerre, 1868, tome 7.djvu/235

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
231
SCÈNE XXXVIII.

CLÉOPÂTRE.

Et moi, me mangerait-il ?

LE PAYSAN.

Ne me croyez pas assez simple pour ignorer que le diable lui-même ne mangerait pas une femme. Je sais que la femme est un mets digne des dieux, quand ce n’est pas le diable qui l’accommode. Mais, vraiment, ces putassiers de diables font grand tort aux dieux dans les femmes ; car sur dix que créent les dieux, les diables en gâtent cinq.

CLÉOPÂTRE.

C’est bien. Va-t’en, adieu.

LE PAYSAN.

Oui, ma foi, je vous souhaite bien du plaisir avec le serpent.

Il sort.
Iras rentre, apportant un manteau royal, une couronne et autres insignes dont elle aide Cléopâtre à se revêtir. Tout en habillant la reine, qui continue de parler, elle prend le temps de plonger son bras dans la corbeille où sont cachés les aspics, et l’en retire, sans que sa maîtresse s’en aperçoive.
CLÉOPÂTRE.

— Donne-moi ma robe… Pose ma couronne… Je sens — en moi d’immortelles ardeurs. Désormais — le jus de la grappe d’Égypte ne mouillera plus ma lèvre… — Lestement, lestement, bonne Iras, vite ! Il me semble que j’entends — Antoine qui appelle ; je le vois se dresser — pour louer ma noble action ; je l’entends qui se moque — du bonheur de César, bonheur que les dieux accordent aux hommes — pour justifier leurs futures colères… Époux, j’arrive ! — Qu’à ce nom si doux mon courage soit mon titre ! — Je suis d’air et de feu ; mes autres éléments, — je les lègue à une plus infime existence…