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INTRODUCTION.

libat avait été désintéressé. Mais non, en prêchant ainsi à tous le renoncement à la chair, Élisabeth obéissait à une préoccupation tout égoïste : elle ne voulait pas permettre à d’autres un bonheur qui lui avait été refusé. On se rappelait son désespoir lorsque avait été rompue l’union projetée entre elle et le duc d’Anjou. Toute sa vie, elle avait soupiré vainement après ces joies défendues : un mari, une famille, un intérieur ! Oh ! si elle avait eu un fils, quels transports ! quelle ivresse ! Elle n’eût pas été obligée de léguer sa couronne au fils de sa rivale Marie, et le sceptre des Tudors ne serait pas tombé entre les mains dégénérées des Stuarts. Cet enchantement de se survivre dans un enfant, la reine toute-puissante l’enviait à la dernière de ses sujettes. Chaque fois que quelqu’un de son entourage se mariait, c’était pour elle comme une plaie mal fermée qui se rouvrait. Elle s’emportait ; elle jurait, elle criait contre ces fiancés qui lui rappelaient qu’elle était vieille fille, contre ces époux qui lui reprochaient de ne pas être mère. Aussi c’était avec un fanatisme monacal qu’elle propageait la religion mystique des précieuses. Non contente d’en être la prêtresse, elle en voulait être l’idole. Ses courtisans la déclaraient divine ; elle les prit au mot et exigea d’eux un culte perpétuel dont la première condition était le plus rigoureux célibat. Pressés par elle, les plus jeunes et les plus beaux de la cour, le comte d’Essex, sir Walter Raleigh et le comte Henri de Southampton, durent s’engager à adorer exclusivement la Madone septuagénaire.

« La reine, écrivait alors le voyageur Hentzner, est très-majestueuse ; elle a le visage oblong, clair, mais ridé, les yeux petits, mais noirs et agréables, le nez un peu crochu, les lèvres étroites et les dents noires. Elle porte une perruque rousse et a le sein découvert comme toutes les Anglaises avant d’être mariées. » Pauvre Es-