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APPENDICE.

sa demande si courtoise, lui en donna cinq cents, et de belles bagues qui valaient par aventure autant. De quoi la gentille femme plus que contente rendit les plus grandes grâces qu’il lui fut possible à la Comtesse : laquelle partie d’avec la gentille femme, s’en retourna en son premier logis. La gentille femme, pour ôter le moyen au Comte de plus venir, ni envoyer à son logis, s’en alla avec sa fille au village chez ses parents : puis le Comte étant de là à peu de jours rappelé par ses sujets pour venir à la maison, averti que la Comtesse s’était retournée, il s’y en retourna.

La Comtesse sachant qu’il était parti de Florence et retourné en son pays, en fut fort contente et demeura longtemps audit Florence jusques à ce que le temps de ses couches vint, et enfanta deux fils ressemblant fort à leur père : lesquels elle fit soigneusement nourrir, et, quand il lui sembla être temps, elle se mit en chemin sans être connue de personne, et s’en vint à Montpellier. Où s’étant reposée quelques jours et ayant su nouvelles du Comte, où il était, elle ouït dire que, le jour de la Toussaint, il se devait faire à Roussillon une grande assemblée de dames et de gentilshommes. Par quoi elle s’y en alla toujours en guise de pèlerine, comme elle en était sortie, et sachant qu’ils étaient tous assemblés au palais du Comte, prêts à se mettre à table, elle passa entre les gens sans changer d’habit, avec ses deux fils entre ses bras.

Quand elle fut montée en la salle jusques au milieu où elle vit le Comte, elle, se jetant à ses pieds, lui dit en pleurant :

— Monseigneur, je suis ta pauvre et infortunée femme, laquelle, pour te laisser retourner et demeurer en ta maison, suis allée longtemps coquinant par le monde. Je te requiers, pour l’honneur de Dieu, que tu me tiennes les conditions que les deux chevaliers que je t’envoyai me rapportèrent de ta part : car voici entre mes bras non-seulement un fils de toi, mais deux, et pareil-