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INTRODUCTION.

roi de Navarre et Antoine s’évertuent vainement à combattre la passion qui les entraîne, l’un, vers la princesse de France, l’autre, vers Cléopâtre. Tous deux succombent ; et cette double défaite se termine, ici, comiquement, par les fiançailles du roi ; là, tragiquement, par la ruine du triumvir.

Roméo et Juliette nous montre l’amour ayant la force irrésistible de l’élément. En vain les deux prédestinés essaieraient de se débattre, avec toute l’énergie de leur volonté, contre la passion éperdue qui les emporte l’un vers l’autre ; aussi ils ne le tentent même pas. La fille des Capulets a aperçu au bal le fils des Montagus. Cela suffit : elle l’aime avant de savoir qui il est.

— Nourrice, quel est celui qui n’a pas voulu danser ?

— Je ne le connais pas.

— Va demander son nom ; s’il est marié, j’aurai mon cercueil pour lit nuptial.

— Son nom est Roméo Montagu, fils unique de votre grand ennemi.

— Il m’est donc né un prodigieux amour, puisqu’il faut que j’aime mon ennemi exécré !

Dans Roméo et Juliette, la liberté humaine n’existe plus.

L’amour, c’est la fatalité.

I

Le poëte est indulgent à la créature. Il ne la condamne pas ici-bas, il ne la damne pas ailleurs. Il la regarde comme un être mixte, moitié chair et moitié esprit, moitié fange et moitié lumière, pétri de défauts et de qualités, susceptible de grandeur aussi bien que de bassesse, toujours faillible, perfectible toujours. Les personnages tout d’une pièce n’existent pas chez lui plus que dans la