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LES COMÉDIES DE L’AMOUR.

nature. Il ne croit pas plus aux fanfaronnades de la vertu qu’à celles du vice. Shakespeare n’admet ni les héros parfaits ni les coquins irrémédiables. Chez lui les plus grandes figures, Hamlet, Othello, Posthumus, Timon, ont toutes une plaie au flanc ; les plus viles, à l’exception peut-être du prodigieux Richard III, ont encore une lueur au front. En dépit des anathèmes de la chaire, il restitue au juif le titre d’homme que le prêtre lui a retiré. Il se plaît à agacer de pitié la conscience du bourreau. Il ennoblit la bête elle-même, et, dans sa tendresse universelle, il fait briller une larme humaine à l’œil du daim que poursuit le chasseur.

Le poëte tend toujours la main à la créature : il l’aide à se relever, à se corriger, à se repentir. Sans cesse il cherche, comme il le dit superbement, l’âme du bien dans les êtres mauvais, a soul of goodness in things evil. Il se regarde comme le médecin des méchants ; il les traite tour à tour par les rires et par les pleurs ; et parfois, quand le patient est déclaré incurable, quand il a résisté à tous les remèdes vulgaires, Shakespeare emploie le mal même pour guérir le mal, et il a recours, comme dans la Sauvage apprivoisée, à une homéopathie souveraine.

Voyez-vous cette fille qui passe ? Eh bien ! pas un galant ne veut l’épouser. — Elle est donc laide ? — Non, elle est jolie. — Elle est donc vieille ? — Elle n’a pas vingt ans. — Elle est donc idiote ? — Elle a beaucoup d’esprit. — Elle est donc pauvre ? — C’est le plus beau parti de tout Padoue. Son père l’offre avec une prime splendide au premier soupirant venu. — Elle a donc la peste ? — Non, elle n’a pas la peste, elle l’est. En fait d’humeur, elle n’a que la mauvaise ; l’emportement est son tempérament. Elle est méchante, méchante comme personne, méchante pour le plaisir. Elle passe son temps