Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Hugo, Pagnerre, 1872, tome 10.djvu/11

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INTRODUCTION.


L’art est libre et souverain. Il se meut à sa fantaisie dans son domaine idéal. Il ne relève ni de la philosophie, ni de la morale, ni de la science, ni de la religion. L’art est lui-même un dogme qui a ses dévots et ses sectaires. Pour prêtres il a les artistes, pour prophètes les poëtes, pour croyants tous les penseurs. L’art anime ses interprètes du souffle mystique de l’inspiration ; il communique à ses fidèles l’extase sacrée de l’admiration. Grâce au charme magique de l’illusion, il possède tous les esprits. Pour lui pas de sceptique : il impose aux âmes les plus rebelles ses plus fantasques superstitions, il rend l’athée même crédule. Il évoque, au gré de ses mythes, les sentiments les plus divers et les plus contradictoires, joie et douleur, gaieté et mélancolie, sympathie et antipathie, terreur et pitié. Il arrache une larme au plus enjoué, un éclat de rire au plus soucieux, un cri d’enthousiasme au plus flegmatique, un mot de compassion au plus implacable. Il efface sous les impressions de la fiction les impressions mêmes de la réalité ; il asservit la vérité à sa rêverie ; il donne à l’évidence le démenti triomphant de ses fables. Pouvoir étrange que l’imagination oblige la raison à reconnaître et qui assure à l’art le gouvernement des âmes ! Puissance inexplicable, incontestable, irrésistible et d’autant plus formidable qu’elle est irresponsable.

Oui, l’art exerce sans contrôle son omnipotence : il n’est