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MESURE POUR MESURE.

claudio.

Pourquoi me fais-tu cet affront ? — Crois-tu que j’emprunte ma résolution — aux fleurs d’une tendre rhétorique ? Si je dois mourir, — je suis prêt à accueillir la nuit funèbre comme une fiancée, — et à l’étreindre dans mes bras !

isabelle.

— C’est bien mon frère qui a parlé ! c’est bien la tombe de mon père — qui a proféré ce cri ! Oui, tu dois mourir : — tu es trop noble pour conserver une vie — par de vils expédients. Ce ministre aux saints dehors, dont le visage impassible et la parole mesurée — glacent les jeunes têtes et font rentrer en cage les folies, — comme un faucon les poules, ce ministre est un démon. — Si l’on retirait de lui toute la fange, on découvrirait — un abîme aussi profond que l’enfer.

claudio.

Le majestueux Angelo ?

isabelle.

— Oh ! livrée menteuse de l’enfer — qui revêt et couvre le corps le plus damné — de majestueux galons ! Croiras-tu, Claudio, — que, si je voulais lui céder ma virginité, — tu pourrais être libre !

claudio.

Ô ciel ! Cela ne se peut pas.

isabelle.

— Oui, au prix de cette immonde offense, il te permettrait — de l’offenser encore. Cette nuit même — je dois faire ce que j’ai horreur de dire ; — sinon, tu meurs demain.

claudio.

Tu n’en feras rien.

isabelle.

— Oh ! s’il ne s’agissait que de ma vie, — je la jetterais pour vous sauver — aussi volontiers qu’une épingle.