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MESURE POUR MESURE.

de la dette de votre ministère envers le prisonnier. J’ai intercédé pour le pauvre gentilhomme jusqu’à la limite extrême de ma modération ; mais j’ai trouvé si sévère le juge mon confrère, qu’il m’a forcé à lui dire qu’il était

en effet la justice même.
le duc.

Si sa propre existence répond à la rigueur de sa procédure, il lui sied bien d’être rigoureux ; mais, s’il lui arrive de faillir, il s’est condamné lui-même.

escalus.

Je vais visiter le prisonnier… Adieu.

le duc.

La paix soit avec vous !

Sortent Escalus et le prévôt.

— Celui qui veut porter le glaive du ciel — doit être aussi saint que sévère. — Il doit trouver dans sa conscience un modèle — de grâce pour résister, de vertu pour agir. — Il doit peser la rétribution des autres — à l’exacte balance de ses propres faiblesses. — Honte à celui dont les coups cruels — tuent pour des fautes auxquelles il est enclin !… — Triple honte à cet Angelo, — qui sarcle mes vices et laisse croître les siens ! — Oh ! que ne peut recéler un homme — sous les dehors même d’un ange ! — Comme l’hypocrisie, faite de crimes, — faisant du monde sa dupe — peut attirer dans ses vains fils d’araignée — les choses les plus considérables et les plus substantielles !… — Il faut que, contre le vice, j’aie recours à la ruse. — Angelo couchera ce soir — avec sa fiancée ancienne, mais dédaignée : — grâce à ce déguisement, — une fourberie satisfera l’exigence de la fourberie, — en donnant force à un ancien engagement.

Il sort.