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LA SOCIÉTÉ.

sacré qui resplendit en caractères radieux dans la mansuétude du firmament.

— Ciel miséricordieux ! quand tu lances tes éclairs, c’est pour fendre le chêne trapu et rebelle plutôt que l’humble myrte ! Mais l’homme vaniteux ! drapé dans sa petite et brève autorité, connaissant le moins ce dont il est le plus assuré, sa fragile essence, il s’évertue, comme un singe en colère, à faire des grimaces grotesques qui font pleurer les anges et qui, s’ils avaient nos ironies, leur donneraient le fou rire des mortels !

Angelo se tait comme accablé par cette sublime apostrophe. Isabelle entrevoit enfin la victoire et profite de cet instant de stupeur pour la décider. Elle n’implore plus le magistrat, elle le confesse. Le ton timide de la solliciteuse a fait place à l’accent superbe de la prophétesse : — Rentrez en vous-même, frappez votre cœur et demandez-lui s’il n’a conscience de rien qui ressemble à la faute de mon frère. S’il confesse une faiblesse de nature analogue à la sienne, qu’il ne lance pas de vos lèvres une sentence contre la vie de mon frère !

Angelo est visiblement ému. Pour la première fois de sa vie, cet homme ressent une impression dont il n’est pas maître. L’infaillible faillit. Le magistrat dont tous les arrêts étaient irrévocables révoque une décision ; il accorde un sursis : — Je réfléchirai, murmure-t-il, revenez demain.

La pieuse enfant attribue à l’indulgence toute désintéressée du magistrat la concession qu’elle vient d’obtenir. Aussi croit-elle pouvoir le suborner par des actions de grâces : — Écoutez comment je veux vous corrompre, dit-elle avec un adorable sourire.

— Comment ! me corrompre ?

— Oui, en vous offrant des dons que vous partagerez avec le ciel, en vous offrant, non de futiles sacs d’or mon-