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INTRODUCTION.

kespearienne. Le négligé du costume met le cœur à nu. Calphurnia veut empêcher son mari de se rendre au sénat. Pâle d’émotion, elle lui raconte les prodiges de la nuit et tâche de l’effrayer d’un mauvais rêve qu’elle a fait. César rit d’abord de tous ces cauchemars. Dans une sublime fanfaronnade, le glorieux se flatte de faire reculer le péril lui-même : « Le danger sait fort bien que je suis plus dangereux que lui : nous sommes deux lions mis bas le même jour : mais moi, je suis l’aîné et le plus terrible. Et César sortira. » Mais César a beau dire : il finit par céder à une inquiétude si suppliante. Pour la première fois peut-être son intrépidité se rétracte ; il défère au vœu de Calphurnia, il ne sortira pas. Cependant voici venir Décius Brutus. Décius, qui est de la conspiration, veut entraîner César au sénat : il se moque des terreurs de Calphurnia, il interprète dans un sens favorable le songe dont elle s’alarme, il menace César de la raillerie publique. Quelles gorges-chaudes ne va-t-on pas faire sur cette pusillanimité d’alcôve ! Entendez-vous quelque mauvais plaisant s’écrier : « Ajournons le sénat jusqu’à ce que la femme de César ait fait de meilleurs rêves ! » Ici Décius a touché juste : il a mis en jeu l’amour-propre du maître. César tient trop à son autorité pour compromettre son prestige. Il se déclare honteux d’avoir cédé aux folles frayeurs de Calphurnia, et retrouve tout son courage dans cette crainte suprême, la peur du ridicule.

Le dictateur est sorti de chez lui, escorté par la conjuration. Il arrive au sénat à travers une multitude immense qui encombre les rues. Au moment où il entre dans la salle fatidique, un inconnu fend la foule et lui présente un papier. César n’a qu’à lire ce qui est écrit sur ce papier, et il est sauvé. Mais César, aveuglé par la destinée, rejette avec hauteur l’avis tutélaire : « Ce compagnon est-il fou ! » s’écrie-t-il en repoussant le trop sage Ardémidore. Bientôt la séance