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LA SOCIÉTÉ.

de son acte. Il va tout droit au forum et, pour qu’il ne soit pas dit qu’il a redouté le débat contradictoire, il autorise Antoine à lui répliquer. Les habiles, comme Cassius, lui reprochent comme une faute de laisser ainsi la parole au panégyriste du despote. Mais Brutus est avant tout l’homme des principes. La liberté est sa foi. Il a pour la liberté une telle dévotion qu’il la respecte même chez ses adversaires. Le droit de s’exprimer appartient à tous : libre à Antoine d’exercer ce droit. La vérité ne peut que gagner à la discussion.

C’est avec cette magnanime confiance que Brutus monte à la tribune. Pour se justifier, il ne croit pas avoir besoin d’artifices oratoires. Son langage a la précision stricte d’un raisonnement : il est laconique, rigoureux et concluant. C’est le principe devenu verbe : « Romains, eussiez-vous préféré voir César vivant et mourir tous esclaves, plutôt que de voir César mort et de vivre tous libres ? César m’aimait, et je le pleure ; il était fortuné, et je m’en réjouis ; il était vaillant, et je l’en admire ; mais il était ambitieux, et je l’ai tué. Ainsi, pour son amitié, des larmes, pour sa fortune, de la joie, pour sa vaillance, de l’admiration, et pour son ambition, la mort ! Quel est ici l’homme assez bas pour vouloir être serf ? S’il en est un, qu’il parle, car c’est lui que j’ai offensé. Quel est ici l’homme assez grossier pour ne vouloir pas être Romain ? S’il en est un, qu’il parle, car c’est lui que j’ai offensé. Quel est ici l’homme assez vil pour ne pas vouloir aimer sa patrie ? S’il en est un, qu’il parle, car c’est lui que j’ai offensé… »

Cette parole, qui défie la contradiction, semble avoir convaincu tous les esprits. Les acclamations retentissent de toutes parts : « Vive, vive Brutus ! » Et les uns veulent qu’on lui élève une statue ; les autres demandent qu’on le ramène en triomphe. « Ce César était un tyran, » crie celui-là. « Nous sommes bien heureux d’en être débarrassés, »