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SCÈNE XVIII.

richard.

Merci, mon noble pair. — Le moins cher d’entre nous est de dix liards trop cher. — Qui es-tu ! Et comment es-tu venu en ce lieu — où nul homme ne vient que ce triste limier — qui m’apporte ma nourriture pour faire vivre mon infortune ?

le groom.

— Roi, j’étais un pauvre groom de tes écuries, — quand tu étais roi. Allant à York, — j’ai à grand’peine fini par obtenir permission — de revoir les traits du roi, mon ci-devant maître. — Oh ! que j’ai eu le cœur navré, le jour du couronnement, — quand, dans les rues de Londres, j’ai vu — Bolingbroke sur le rouan Barbary, — ce cheval que tu as si souvent monté, — ce cheval que j’avais dressé avec tant de soin !

richard.

— Il montait Barbary !… Et, dis-moi, mon ami, — comment Barbary se gouvernait-il sous lui ?

le groom.

— Si fièrement qu’il semblait dédaigner la terre.

richard.

— Tant il était fier d’avoir Bolingbroke sur le dos ! — Cette rosse a mangé du pain dans ma main royale ; — elle était fière d’être caressée par cette main. — Et elle n’a pas bronché ! Elle ne s’est pas abattue — (puisque l’orgueil doit avoir une chute), et elle n’a pas cassé le cou — à l’homme orgueilleux qui usurpait sa croupe !… — Pardon, cheval ! Pourquoi te faire des reproches — puisque, créé pour être dominé par l’homme, — tu es né pour porter ! Moi je ne suis pas né cheval ; — et pourtant je porte mon fardeau comme un âne, — éperonné et surmené par l’impétueux Bolingbroke.