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INTRODUCTION.

changés, c’étaient les mêmes griefs : confiscations, prodigalités envers des favoris, le soupçon et l’espionnage partout aux aguets, le peuple écrasé d’impôts, la noblesse systématiquement épuisée, exactions nouvelles sans cesse inventées, emprunts forcés, qualifiés dérisoirement dons volontaires, état de paix plus coûteux que l’état de guerre. Certes, nous comprenons que la reine Élisabeth se soit sentie personnellement atteinte par les acclamations qui élevaient jusqu’à elle les sentences du poëte ! Nous comprenons que, peu de temps avant de mourir, elle ait dénoncé avec tant d’acrimonie le succès de « cette tragédie de Richard II, jouée quarante fois dans les théâtres publics. » Cette vaillante exposition des abus du despotisme devait mériter longtemps les rancunes de la royauté. En 1738, les vers du maître, ingénieusement appliqués par un écrivain indépendant aux actes du ministère Walpole, valurent à une revue périodique, The Craftsman, l’honneur d’un procès de presse. Magnifique triomphe posthume ! Si formidable était cette franche poésie qu’à cent cinquante ans de distance elle donnait à la monarchie le frisson du remords, et qu’après avoir fait frémir la maison de Tudor, elle faisait trembler la dynastie de Hanovre.

C’est qu’en effet l’œuvre de Shakespeare contient un symbole à jamais dangereux au despotisme. L’insurrection ne s’y consume pas en déclamations vaines ; elle passe, avec une irrésistible logique, de la parole à l’action. Il ne suffit pas de dénoncer l’absolutisme, il faut le renverser. — Le même vent providentiel qui retient à la côte d’Irlande Richard II et son armée amène sur la plage d’Yorkshire la barque de Henry de Lancastre. Le duc, expatrié et déshérité, reparaît pour revendiquer à la fois son héritage et sa patrie. Son débarquement triomphal à Ravenspurg est un des plus étonnants miracles