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SONNETS.

CXXIII

Regarde dans ta glace, et dis à la figure que tu y vois qu’il est temps que cette figure en forme une autre : si tu n’en fais pas maintenant revivre la fraîche image, tu voles le monde, et tu refuses le bonheur à une mère.

Car où est la femme si belle dont la matrice inculte dédaignerait le sillon de ton labour ? Ou bien, quel est l’homme assez fou pour être le tombeau de son propre amour et couper court à sa postérité ?

Tu es le miroir de ta mère, et elle retrouve en toi l’aimable avril de sa jeunesse ; de même, à travers les vitres de ta vieillesse, tu pourras voir, en dépit des rides, le rayon de ton printemps.

Mais, si tu veux vivre pour être oublié, meurs célibataire, et ton image meurt avec toi.

CXXIV

Gaspilleur de grâce, pourquoi dépenses-tu en toi-même l’héritage de ta beauté ? La nature dans ses legs ne donne rien, elle prête, et, étant libérale, elle ne prête qu’aux généreux.

Alors, bel avare, pourquoi perds-tu les trésors féconds qui te sont donnés pour que tu les donnes ? Usurier sans profit, pourquoi gardes-tu une si grande somme de sommes, sans savoir en vivre ?

Car, n’ayant de trafic qu’avec toi seul, tu frustres de toi-même ton doux être. Aussi, quand la nature t’appel-