Mais toi, fiancé à tes brillants regards, tu nourris la flamme de ton foyer de ta propre substance ; tu fais une famine là où l’abondance est cachée, ennemi de toi-même, trop cruel pour ton doux être.
Toi qui es maintenant le frais ornement du monde, qui n’es encore que le héraut du printemps splendide, tu ensevelis ta sève dans ton propre bourgeon ; tendre ladre, tu te ruines en économie.
Écoute le cri de la nature, ou, sinon, la gloutonne ira manger dans ta tombe la part qui lui est due.
CXXII
Lorsque quarante hivers assiégeront ton front et creuseront des tranchées profondes dans le champ de ta beauté, la fière livrée de ta jeunesse, si admirée maintenant, ne sera qu’une guenille dont on fera peu de cas.
Si l’on te demandait alors où est toute ta beauté, où est tout le trésor de tes jours florissants, et si tu répondais que tout cela est dans tes yeux creusés, ce serait une honte dévorante et un stérile éloge.
Combien l’emploi de ta beauté mériterait plus de louange, si tu pouvais répondre : « Ce bel enfant né de moi sera le total de ma vie et l’excuse de ma vieillesse ; » et si tu prouvais que sa beauté est tienne par succession !
Ainsi tu redeviendrais jeune alors que tu vieillirais, et tu verrais se réchauffer ton sang quand tu le sentirais se refroidir.