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SONNETS ET POÈMES.

« Toutes leurs pièces, ajoutait-il, ne sont ni de vraies comédies, ni de vraies tragédies. Elles mêlent les rois et les paysans, sans que le sujet le comporte. Elles poussent un paysan sur la scène par la tête et par les épaules, pour lui faire jouer un rôle dans des sujets majestueux, sans décence ni discrétion ; si bien que, ni l’admiration, ni la pitié, ni la vraie gaieté n’est produite par leur tragi-comédie métisse. »

À l’époque où parut le livre posthume de Sidney, Shakespeare avait fait jouer déjà un grand nombre de pièces : les Deux Gentilshommes de Vérone, Peines d’amour perdues, la Sauvage apprivoisée, le roi Jean, Henry IV, la Comédie des Erreurs, le Songe d’une nuit d’été, toutes violations éclatantes des lois d’Aristote. En présence de cet anathème jeté de la tombe contre toute son œuvre, que va faire Shakespeare ? Le moment est solennel. Va-t-il faire comme Corneille fera quarante ans plus tard ? Va-t-il se soumettre au formulaire classique, s’agenouiller devant les règles, renier la nature et confesser la Poétique ? C’est ici que se manifeste d’une manière frappante la différence des deux génies. Tandis que Corneille accepte le dogme despotique des unités, Shakespeare revendique en dépit de tout la liberté de l’art. Corneille mesure son théâtre au mètre d’Aristote ; Shakespeare donne au sien les proportions de la nature. Corneille emprisonne ses héros ; Shakespeare leur donne le temps et l’espace. Corneille ne veut pas que Cinna sorte de Rome. Quand Othello, éperdu d’amour, veut rejoindre et Chypre sa Desdemona, Shakespeare ne lui marchande pas une barque. À l’arrêt prononcé contre lui par l’Académie, Corneille répond : « Je serais le premier qui condamnerait le Cid, s’il péchait contre ces grandes et souveraines maximes que nous tenons d’Aristote. » À la sommation qui lui est faite par les classiques d’avoir à respecter les règles, que répond Shakespeare ? Il évoque, au milieu du Conte