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INTRODUCTION.

d’hiver, la figure du Temps, et il met dans la bouche de cet interprète de l’éternité la réplique souveraine que Voici :

le temps.

Moi qui plais à quelques-uns et qui éprouve tout le monde, moi qui suis la joie des bons et la terreur des méchants, moi qui fais et découvre l’erreur, je prends maintenant sur moi, en ma qualité de Temps, de déployer mes ailes. Ne m’imputez pas à crime si, dans mon vol rapide, je glisse par-dessus seize années, et si je laisse inexplorée la transition de ce vaste intervalle. Car il est en mon pouvoir de renverser la loi, et, dans une heure d’initiative, de faire germer ou de bouleverser une coutume. Laissez-moi passer tel que j’étais avant que fût établi le systéme ancien ou le système aujourd’hui reçu. J’ai été témoin des époques qui ont fait naître ces usages, comme je le serai des modes les plus nouvelles qui désormais régneront.

Telle fut la résistance raisonnée que fit l’auteur d’Hamlet aux sommations des classiques, opposant toujours, comme les grands penseurs révolutionnaires, comme Rabelais, comme Descartes, le bon sens au préjugé, la raison au texte écrit, la nature éternelle aux conventions factices. Mais parce que Shakespeare, résistant aux entraînements exagérés de la Renaissance, repoussa les règles antiques, l’unité de temps, l’unité de lieu, la séparation de la comédie et de la tragédie ; parce qu’en dépit des goûts aristocratiques, il continua de faire paraître sur la même scène le paysan et le prince, et d’y mêler le peuple et la cour ; parce que, malgré l’école euphuiste, qui déclarait barbare le vieil idiome anglo-saxon, il continua de parler la langue nationale ; parce que Shakespeare fit tout cela, est-ce à dire qu’il n’ait pas été influencé ni modifié par la Renaissance ? Est-ce à dire que Shakespeare soit resté insensible devant cette étonnante apparition d’un monde nouveau, révélé tout à coup par la Grèce proscrite et par l’Italie conquise aux générations du moyen âge ?

Eh quoi ! il y aurait eu un siècle, ce grand seizième siècle, où l’on aurait vu successivement Homère, Platon,