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VÉNUS ET ADONIS.

ton pouvoir. Les destins te maudiront pour ce coup-là ; ils te commandaient de faucher une mauvaise herbe, tu arraches une fleur ! C’est la flèche d’or de l’amour, et non le dard d’ébène de la mort, qui aurait dû le frapper à outrance.

CLIX

» T’abreuves-tu de pleurs, que tu provoques de telles larmes ? Quel bien peut te faire un douloureux sanglot ? Pourquoi as-tu plongé dans l’éternel sommeil ces yeux qui permettaient de voir à tous les autres yeux ? À présent la nature ne s’inquiète plus de sa puissance meurtrière, puisque son plus bel ouvrage est ruiné par ta rigueur. »

CLX

Ici, comme accablée par le désespoir, elle ferme ses paupières, lesquelles, ainsi que des écluses, arrêtent le flot cristallin qui de ses deux belles joues ruisselle dans le doux lit de son sein ; mais le torrent argenté force les barrières et les rouvre dans la violence de son cours.

CLXI

Oh ! quel sympathique échange entre ses yeux et ses larmes ! Ses yeux se voient dans ses larmes, ses larmes dans ses yeux ; les deux cristaux reflètent mutuellement leur douleur, douleur que des soupirs amis tâchent constamment de tarir. Mais, comme en un jour d’orage le vent et la pluie se succèdent, les pleurs mouillent de nouveau ses joues qu’ont séchées les soupirs.

CLXII

Des émotions diverses assiégent son constant désespoir ;