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LE VIOL DE LUCRÈCE.

tifiera en t’expliquant mon amour. Voilà sous quelle couleur je viens tenter l’escalade de cette forteresse qui n’a jamais été conquise ; la faute en est à toi, car ce sont tes yeux mêmes qui t’ont trahie.

LXX

» Si tu veux me gronder, je te répliquerai que c’est ta beauté qui t’a tendu le piége de cette nuit. Maintenant tu dois avec patience te soumettre à mon désir. Mon désir t’a choisie pour mes délices terrestres ; j’ai fait tout ce que j’ai pu pour le vaincre ; mais, à mesure que le remords et la raison le mortifiaient, l’éclat de ta beauté le ranimait.

LXXI

» Je prévois les malheurs que produira mon attentat ; je sais combien d’épines défendent la rose en croissance ; je sais que le miel est gardé par un aiguillon. Tout cela, la réflexion me l’a représenté d’avance ; mais mon désir est sourd, et n’écoute plus les conseils amis ; il n’a d’yeux que pour s’extasier devant la beauté, et il raffole de ce qu’il voit, malgré lois et devoir.

LXXII

» J’ai pesé au fond de mon âme l’outrage, la honte et les douleurs que je dois faire naître ; mais rien ne peut contrôler le cours de la passion, ni arrêter la furie aveugle de son élan. Je sais tout ce qui suivra cette action, les larmes du repentir, l’opprobre, les dédains, les inimitiés mortelles ; pourtant je suis résolu à consommer mon infamie. »