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LE VIOL DE LUCRÈCE.

XCVIII

En effet, Tarquin se sert du linge de nuit qu’elle porte pour refouler dans sa bouche ses lamentables clameurs ; il baigne sa face brûlante dans les plus chastes larmes que jamais aient versées les yeux modestes de la douleur. Oh ! se peut-il que la luxure acharnée souille un lit si pur ! Si des larmes pouvaient effacer cette tache, Lucrèce en verserait à jamais.

XCIX

Mais elle a perdu une chose plus précieuse que la vie, et lui, il a gagné ce qu’il voudrait bien reperdre. Cette brusque union brusque une nouvelle lutte ; cette joie momentanée engendre des mois de douleur ; ce chaud désir se change en froid dégoût. La pure chasteté est dépouillée de son trésor, et la luxure qui l’a volé n’en est que plus misérable.

C

Voyez comme le limier trop nourri, le faucon gorgé, ayant perdu la finesse de l’odorat, la vitesse de l’élan, poursuivent lentement, s’ils n’abandonnent pas tout à fait, la proie dont ils sont avides par nature. Ainsi Tarquin assouvi s’effare de cette nuit. Une délicieuse satiété, aigrie par la digestion, dévore le désir qu’entretenait une sombre voracité.

CI

Ô profondeurs de crime que la pensée insondable ne saurait comprendre dans sa sereine imagination ! Il faut