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LE VIOL DE LUCRÈCE.

CV

Dans cette pensée, Tarquin se dérobe à travers les ténèbres, vainqueur captif pour qui le triomphe est désastre ; il emporte la blessure que rien ne guérit, cicatrice qui restera en dépit de toute cure, et il laisse sa victime en proie à des angoisses plus grandes encore. Elle porte le poids de la souillure qu’il lui a laissée, le fardeau d’une âme coupable.

CVI

Lui, comme un chien larron, s’esquive tristement ; elle, comme un agneau lassé, reste là palpitante. Lui se gronde et se déteste pour son attentat ; elle, désespérée, se déchire la chair avec ses ongles ; il se sauve effaré, avec la sueur froide d’une criminelle frayeur ; elle, demeure, se lamentant sur l’effroyable nuit. Lui court, maudissant sa jouissance évanouie, abhorrée.

CVII

Il part converti, accablé ; elle reste là dégradée, désespérée. Il aspire dans sa hâte à la clarté du matin ; elle souhaite de ne plus jamais voir le jour : « Car le jour, se dit-elle, met en lumière les forfaits de la nuit, et mes yeux sincères n’ont jamais essayé de masquer un tort d’un sourcillement hypocrite.

CVIII

» Ils se figurent que tous les yeux peuvent voir l’ignominie qu’eux-mêmes aperçoivent ; et aussi voudraient-ils toujours rester dans les ténèbres, afin de tenir l’outrage caché ; car ils trahiraient leurs remords par leurs larmes,