Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Hugo, Pagnerre, 1872, tome 15.djvu/261

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
261
LE VIOL DE LUCRÈCE.

que trace l’esprit est vite raturé par la volonté ; ceci est trop complaisamment délicat, ceci est trop cruellement brusque ; comme une foule à une porte, ses idées se pressent, c’est à qui passera la première.

CLXXXVII

Enfin elle commence ainsi : « Noble époux de l’indigne femme qui s’adresse à toi, salut à ta personne ! daigne, si jamais, amour, tu veux revoir ta Lucrèce, daigne accourir au plus vite auprès de moi. Je me recommande à toi du fond de notre maison de malheur ; mes souffrances sont immenses, si brèves que soient mes paroles. »

CLXXXVIII

Ici elle ferme ce triste message, incertaine expression de sa douleur trop certaine. Par cette courte cédule, Collatin peut apprendre sa peine, mais non la vraie nature de se peine ; elle n’a pas osé en faire l’aveu, craignant d’être jugée par lui trop coupable, avant d’avoir trempé dans le sang l’excuse de son impureté.

CLXXXIX

D’ailleurs, elle réserve les élans de son émotion pour les prodiguer au moment où Collatin pourra l’entendre ; alors les soupirs, les sanglots et les larmes, donnant grâce à sa disgrâce, la laveront d’autant mieux des soupçons que le monde pourrait concevoir contre elle. C’est pour ne pas être noircie par eux qu’elle n’a pas voulu noircir sa lettre de paroles que l’action doit rendre bien plus éloquentes.