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SONNETS ET POÈMES.

Ah ! que si de vos mains je rattrape mon cœur,
Je bénirai le ciel de ce rare bonheur.
Je ne le cèle pas, je fais tout mon possible
À rompre de ce cœur l’attachement terrible.
Mais mes plus grands efforts n’ont rien fait jusqu’ici,
Et c’est pour mes péchés que je vous aime ainsi.

La Célimène de Shakespeare a la répartie prompte comme celle de Molière. « N’avez-vous pas de honte de m’aimer ainsi ! lui dit-elle. Vous oubliez que vous êtes marié et que vous avez juré fidélité à une autre. Vous violez votre serment. Ah ! j’ai horreur du parjure ! » Et la voilà qui, dans ce reproche de parjure, rappelle au poëte éperdu tout ce passé disparu, la chaumière de Wilmcote, le lit nuptial de Stratford, et cet intérieur austère où la femme du poëte veille sur trois berceaux !

Mais le doux fantôme de la famille brusquement évoqué n’arrête pas l’amoureux. Mal lui en a pris à cette femme d’accuser Will de parjure — « Ah ! lui réplique-t-il durement, compare seulement ma vie à la tienne, et tu verras qu’elle ne mérite pas cette réprobation ; ou, si elle la mérite, ce n’est pas de tes lèvres qui ont profané leurs ornements écarlates et scellé de faux engagements d’amour aussi souvent que les miennes (xxie siècle sonnet.) »

Après cette foudroyante réplique, la triste créature semble à bout de résistance. Elle est vaincue, sinon convaincue. Sans doute elle a compris le danger qu’il y aurait pour elle à prolonger une lutte ou son adversaire a toujours le dernier mot. Elle se donne enfin, et le xxve siècle Sonnet est, dans son équivoque anacréontique, le cri de victoire de Shakespeare.

Mais ce triomphe n’est pas de longue durée. Au moment où Will croit avoir trouvé le bonheur, une effroyable catastrophe se prépare pour lui. En effet, on l’entend tout à coup, au xxviie siècle sonnet, jeter une exclamation de