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INTRODUCTION.

imaginaire, que l’ami de Shakespeare n’expiât sur l’échafaud son mariage insurrectionnel.

On comprend maintenant comment les libraires, fort peu audacieux en général, mirent si peu d’empressement à publier les sonnets où cette union téméraire avait été conseillée et où Shakespeare attaquait avec tant de hardiesse le célibat ordonné par la reine. Ce ne fut qu’après la mort d’Élisabeth, quand la terreur inspirée par la fille de Henry VIII fut passée, que les sonnets de Shakespeare trouvèrent un éditeur. Mais alors la haute position qu’occupait Southampton et des considérations de famille durent empêcher qu’on ne livrât sans réserve à la publicité le drame intime où figurait un des premiers personnages de l’Angleterre. Pour dérouter la curiosité des contemporains, l’éditeur imagina la mystérieuse dédicace où les initiales de Henry Wriothesly, comte de Southampton, étaient maintenues, mais interverties ; il fit mieux encore : il publia les sonnets dans un désordre prémédité qui en rompait l’unité logique et les rendait presque incompréhensibles, laissant à la postérité patiente le soin d’en deviner l’énigme.

C’est cette énigme que nous avons essayé ici de pénétrer.

III

Placé par sa naissance et par sa profession au niveau de toutes les souffrances, Shakespeare les a toutes connues. Fils d’un artisan sur une terre d’aristocratie, longtemps pauvre dans un pays d’argent, comédien au milieu d’un peuple puritain, il eut à lutter de toutes parts contre des préjugés impitoyables. Il faut lire ses sonnets pour savoir combien lui pesaient cette livrée de bouffon dont le besoin l’avait affublé, et ce métier qui laisse toujours