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Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Hugo, Pagnerre, 1872, tome 15.djvu/62

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SONNETS.

que prétend le monde en déclarant qu’elle ne l’est pas ? Si elle ne l’est pas, alors l’amour prouve bien que son oui est loin d’être aussi juste que le non de tous les hommes.

Comment le serait-il ? Oh ! comment l’amour verrait-il juste, lorsque ses yeux sont ainsi fatigués par l’insomnie et par les pleurs ? Rien d’étonnant alors que je me méprenne sur ce que je vois : le soleil même ne voit pas jusqu’à ce que le ciel s’éclaircisse.

Ô rusée bien-aimée ! tu m’aveugles de larmes, de peur que mes yeux clairvoyants ne découvrent tes noirs défauts.

XIX

En vérité, je ne t’aime pas avec mes yeux, car ils remarquent en toi mille défauts : mais c’est mon cœur qui, aimant ce que mes yeux méprisent, se plaît à radoter en dépit de ma vue.

Mes oreilles ne sont pas non plus charmées par le son de ta voix ; chez moi, ni le tact délicat, sensible aux attouchements grossiers, ni le goût, ni l’odorat ne désirent être invités à une orgie sensuelle en tête-à-tête avec toi.

Ni mes cinq esprits, ni mes cinq sens ne peuvent dissuader de te servir ce cœur imbécile qui, laissant libre en moi l’homme extérieur, se fait l’esclave et le vassal misérable de ton cœur hautain.

Tout ce que je gagne à mon mal est que celle qui me fait pécher m’inflige aussi la peine.