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SONNETS.

Mon bon ange est-il devenu démon ? Je puis le soupçonner sans l’affirmer directement. Mais, tous deux s’étant éloignés de moi et tous deux étant amis, j’imagine que le bon ange est dans l’enfer de l’autre.

Pourtant je n’en serai jamais sûr, et je vivrai dans le doute, jusqu’à ce que mon mauvais ange ait embrasé le bon.

XXX

J’ai bien vu maintes fois l’aurore glorieuse caresser le sommet des monts d’un regard souverain, effleurant de sa face d’or les prairies vertes et dorant les pâles rivières par une céleste alchimie ;

Puis tout à coup laisser les plus infimes nuages écraser de leur roue hideuse sa figure céleste, et, cachant son visage au monde désolé, s’enfuir, inaperçue, dans l’ouest avec cet affront.

Ainsi, à l’aube d’une matinée, mon soleil a jeté sur mon front sa triomphante splendeur. Mais c’est fini, hélas ! je ne l’ai eu qu’une heure ; les nuages me l’ont masqué désormais.

Pourtant mon amour ne le dédaigne nullement pour cela ; les soleils de ce monde peuvent s’éclipser quand le soleil du ciel s’éclipse.

XXXI

Pourquoi, ami, m’as-tu promis un si beau jour et m’as-