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SONNETS.

épier mes actes, pour me surprendre en de honteux et frivoles passe-temps, dans un élan impérieux de ta jalousie ?

Oh ! non, ton amour, quel qu’il soit, n’est pas si grand ; c’est mon amour qui tient mes yeux éveilles ; oui, c’est mon amour profond qui ruine mon repos en se faisant sans cesse pour toi guetteur de nuit :

Tu me fais faire le guet, tandis que tu veilles ailleurs, loin de moi et trop près de bien d’autres.

LIX

C’est surtout quand mes yeux se ferment qu’ils voient le mieux, car tout le jour ils tombent sur des choses indifférentes ; mais, quand je dors, ils te contemplent en rêve et, s’éclairant des ténèbres, deviennent lucides dans la nuit.

Ô toi, dont l’ombre rend si lumineuses les ombres, quelle apparition splendide formerait ta forme réelle à la clarté du jour agrandie de ta propre clarté, puisque ton ombre brille ainsi aux yeux qui ne voient pas !

Oui, quel éblouissement pour mes yeux de te regarder à lumière vive du jour, puisque dans la nuit sépulcrale l’ombre imparfaite de ta beauté apparaît ainsi à travers le sommeil accablant à mes yeux aveuglés !

Tous les jours sont nuits pour moi tant que je ne te voie pas ; et ce sont de brillants jours que les nuits où le rêve te montre à moi.