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LES AMIS

jamais ma confiance en toi, tu me rends étranger à l’humanité. La blessure intime est la plus profonde. Temps maudit où de tous les ennemis un ami est le pire ! »

Sous le coup de cette foudroyante imprécation, Protée s’est arrêté au seuil de son forfait. Dans le personnage farouche qui vient d’apparaître, il a reconnu son ami d’enfance que la proscription a fait capitaine de bandits. Blême, la tête basse, l’œil piteux, il balbutie l’excuse : « Ma honte et mon crime me confondent… Pardonne-moi, Valentin. Si un cordial remords est pour ma faute une rançon suffisante, je te l’offre ici !… » Que va faire Valentin ? Il tient Protée en son pouvoir. Il est à la fois le franc-tenancier et le franc-juge de cette forêt. Il exerce sur tous les forbans qui l’entourent cette fascination souveraine par laquelle l’intelligence dompte la force brutale. Il a musclé tous ces hommes féroces, et d’un geste il peut les déchaîner contre le coupable. Il n’a qu’à sonner la fanfare, et toute une même de furieux va se ruer sur le misérable aux abois.

Protée attend en tremblant l’arrêt que va prononcer le tout-puissant justicier. Pour rançon de son crime, il vient d’offrir le remords : cela suffira-t-il ? « Oui, répond Valentin. Je t’admets encore une fois à l’honneur. Qui n’est pas satisfait par le repentir n’appartient ni au ciel ni à la terre, car le ciel et la terre se laissent fléchir. La pénitence apaise la colère de l’Éternel. » Et ce disant, il ouvre les bras à Protée.

Nombre de critiques ont réclamé contre cette sentence magnanime qui termine la comédie et en règle le dénoûment. Quoi ! se sont-ils écriés avec une vertueuse indignation, ce félon qui a commis tant de bassesses et de lâchetés, ce fourbe qui a trahi son ami, ce criminel digne de la hart, qui a tenté de violer la fiancée de son ami,