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LES AMIS

il le devrait, demander pardon de tous ses torts ? Va-t-il au moins s’engager pour l’avenir à des procédés plus doux ? Fi donc !

— Je suis bien capable, répond-il au juif, de t’appeler chien encore, de cracher sur toi encore, de te chasser du pied encore. Si tu prêtes de l’argent, ne le prête pas comme à un ami. L’amitié a-t-elle jamais tiré profit du stérile métal confié par un ami ? Non, considère ce prêt comme fait à ton ennemi. S’il manque à l’engagement, tu auras meilleure figure à exiger contre lui la pénalité !

Antonio a commencé par insulter Shylock, il finit par le braver. Tout à l’heure il l’outrageait, maintenant il le provoque. C’en est fait, la mesure est comblée. L’excessive insolence a épuisé l’excessive patience. Ce défi, que le chrétien lui jette, le juif ne peut le repousser. Shylock ne voulait pas la lutte, mais Antonio la veut : soit ! Il l’aura. Aussi bien, dans son duel avec Antonio, Shylock accepte les conditions mêmes de son adversaire. Antonio réprouve l’usure, Shylock dédaigne cette arme : il le déclare d’avance, il ne prendra pas un denier d’intérêt, il prêtera son argent pour rien. Seulement, « par manière de plaisanterie, » si Antonio ne rembourse pas la somme dite au jour dit, il perdra une livre pesant de sa belle chair, laquelle sera coupée et prise dans telle partie du corps que désignera Shylock. — Certes, en ce moment, la proposition de Shylock a bien l’air d’une plaisanterie ; elle semble bien plutôt imaginée pour faire rire que pour faire frémir. Quelle vraisemblance qu’Antonio ne puisse pas acquitter dans trois mois une misérable dette de trois mille ducats ? Antonio a été surnommé le « Marchand royal. » Il a des galions sur toutes les mers, il attend de somptueuses cargaisons de tous les points du globe, d’Angleterre, de Lisbonne, de Tripoli, de Barbarie, du Mexique, des Indes et de je ne sais où. On peut