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APPENDICE.

Narcisse, tu n’éprouves une passion sans espoir. Parce que tu es belle, ne sois pas si difficile. S’il n’est rien d’aussi charmant que la beauté, il n’est rien non plus d’aussi fragile : elle est aussi éphémère que l’ombre qui tombe d’un ciel nébuleux. Aime donc quand tu es jeune, de peur que tu ne sois dédaignée en vieillissant. On ne saurait rattraper ni la beauté ni le temps. Si tu aimes, donne la préférence à Montanus ; car, si sa passion est ardente, ses mérites sont grands. »

Pendant tout ce temps, Phébé était restée en extase devant Ganimède, s’imaginant voir l’ombre d’Adonis échappée de l’Élysée sous la forme d’un pâtre ; enfin elle répondit doucement : « Je ne puis nier, monsieur, que j’aie ouï parler de l’amour, bien que jamais je ne l’aie ressenti, ni que j’aie lu maintes descriptions de la déesse Vénus, bien que je ne l’aie jamais vue qu’en peinture… Et peut-être, monsieur, ajouta-t-elle en rougissant, ma vue est-elle plus prodigue aujourd’hui que jamais. » À ces mots elle s’interrompit, comme si quelque grande émotion la troublait. En vain Aliéna lui demanda d’achever ; Phébé, la face couverte des nuances du vermillon, se rassit en soupirant. Sur ce, Aliéna et Ganimède, voyant la bergère dans une si étrange humeur, la laissèrent avec son Montanus, en lui souhaitant amicalement de devenir plus docile à l’Amour, de peur qu’en représailles Vénus ne la soumît à quelque rude châtiment. Phébé s’en retourna chez son père, embrasée par une ardente flamme. L’image des perfections de Ganimède avait laissé dans l’esprit de la pauvre bergère une impression de plaisir mêlée à une intolérable souffrance, et elle souhaitait de mourir plutôt que de vivre dans cette amoureuse angoisse. Le trouble de son esprit agissant sur la santé de son corps, elle tomba malade, et si malade qu’on désespérait presque de la sauver.