Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Hugo, Pagnerre, 1872, tome 9.djvu/347

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
345
SCÈNE XXII.

c’est effrayant — et vertigineux de plonger si bas ses regards ! — Les corbeaux et les corneilles qui fendent l’air au-dessous de nous — ont tout au plus l’ampleur des escargots. À mi-côte — pend un homme qui cueille du percepierre : terrible métier ! — Ma foi ! il ne semble pas plus gros que sa tête. — Les pêcheurs qui marchent sur la plage — apparaissent comme des souris ; et là-bas, ce grand navire à l’ancre — fait l’effet de sa chaloupe ; sa chaloupe, d’une bouée — à peine distincte pour la vue. Le murmure de la vague — qui fait rage sur les galets innombrables et inertes — ne peut s’entendre de si haut… Je ne veux plus regarder ; — la cervelle me tournerait, et le trouble de ma vue — m’entraînerait tête baissée dans l’abîme (70).

glocester.

Placez-moi où vous êtes.

edgar.

— Donnez-moi votre main : vous êtes maintenant à un pied — de l’extrême bord ; pour tout ce qu’il y a sous la lune, — je ne voudrais pas faire un bond.

glocester.

Lâche ma main. — Voici une autre bourse, ami ; il y a dedans un joyau — qui n’est pas à dédaigner pour un pauvre homme. Que les fées et les dieux — te rendent ce don prospère ! Éloigne-toi ; — dis-moi adieu, et que je t’entende partir !

edgar.

— Adieu donc, mon bon monsieur.

Il fait mine de s’éloigner.
glocester.

Merci de tout cœur !

edgar, à part.

— Si je joue ainsi avec son désespoir, — c’est pour le guérir.