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LE ROI LEAR.

glocester.

Ô dieux puissants ! — je renonce à ce monde ; et, en votre présence, — je me soustrais sans colère à mon accablante affliction ; — si je pouvais la supporter plus longtemps sans me mettre — en révolte contre vos volontés inéluctables, — je laisserais le lumignon misérable de mes derniers moments — s’éteindre de lui-même… Si Edgar vit encore, oh ! bénissez-le !… — À présent, camarade, adieu.

edgar.

Me voilà parti, monsieur ; adieu…

Glocester s’élance et tombe à terre de toute sa hauteur.

— Pourtant je ne sais si l’imagination ne serait pas de force à dérober — le trésor de la vie, quand la vie elle-même — se prête à ce vol. S’il avait été où il pensait, — déjà c’en serait fait pour lui de toute pensée.

Il s’approche de Glocester.

Mort, ou vivant ? — Holà, monsieur ! ami !… Entendez-vous, monsieur ?… Parlez !… — Il a bien pu se tuer ainsi, vraiment !… Mais non, il se ranime. — Qui êtes-vous, monsieur ?

glocester.

Arrière ! laissez-moi mourir.

edgar.

— À moins d’être un fil de la Vierge, une plume ou un souffle, — tu n’aurais pas pu être précipité de si haut — sans te briser comme un œuf. Mais tu respires, — tu es un corps pesant, tu ne saignes pas, tu parles, tu es sain et sauf ! — Dix mâts, les uns au bout des autres, ne mesureraient pas la hauteur — dont tu viens de tomber perpendiculairement. — Ta vie est un miracle. Parle encore.

glocester.

Mais suis-je tombé, ou non ?