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INTRODUCTION.

va subir à Antium la peine de sa trahison et mourir, exécuté par ses alliés, devenus ses bourreaux.

Shakespeare a consacré dans son drame le dénoûment fatal indiqué par Plutarque. Selon une version toute différente rapportée par Tite-Live, d’après Fabius Pictor, Marcius, retiré à Antium, aurait été épargné par les Volsques, et, grâce à leur indulgence, aurait vécu dans un paisible exil jusqu’à une extrême vieillesse. Je ne sais si le poëte anglais avait lu le récit de l’historien latin, que, dès l’année 1600, la traduction de Philémond Holland avait pu lui rendre familier. À supposer qu’il l’ait connu, je ne doute pas qu’il n’ait systématiquement rejeté la conclusion clémente mentionnée par Tite-Live. Si jamais, en effet, la providence shakespearienne a dû infliger un châtiment exemplaire, c’est dans le cas actuel. Si jamais expiation tragique a été méritée, c’est par Coriolan.

Au moment où Marcius tombe sous le fer des Volsques, rappelons-nous tous les attentats commis par le condamné. Sa vie n’a été qu’une longue conspiration contre les lois divines et humaines. En dépit du droit éternel sur lequel est fondée l’égalité entre les hommes, au mépris de la constitution sociale qui la proclame, il a voulu asservir la cité à une oligarchie de famille et assujettir l’immense majorité de ses semblables à une caste privilégiée. Pour établir l’autorité de cette caste, il a conseillé, employé tous les moyens, la violence, la ruse, le guet-apens, le coup d’État, le massacre ! Souvenons-nous de l’horrible menace qu’il adressait naguère au peuple affamé : « Ah ! si la noblesse mettait de côté ses scrupules et me laissait tirer le glaive, je ferais de vous une hétacombe de cadavres aussi haute que ma lance ! » Marcius a abusé des prérogatives qu’il tenait de sa naissance ; il a exploité pour le mal les qualités splendides qu’il avait reçues pour le bien : il a employé la vertu à l’injustice, prostitué la magnanimité