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CORIOLAN ET LE ROI LEAR.

quis ainsi officiellement le droit de publier le Roi Lear, en firent paraître trois éditions successives dans le courant de l’année 1608. Ces trois éditions, de format in-quarto, ne diffèrent entre elles que par d’insignifiants détails de typographie et de pagination.

Le Roi Lear ne fut réimprimé que quinze ans plus tard, dans la grande édition in-folio que les libraires Blount et Jaggard publièrent en 1623. Cette édition posthume se distingue des précédentes par d’importantes variations : elle omet deux cent vingt-cinq vers ou lignes qui figurent dans les éditions in-quarto, et contient en revanche cinquante lignes ou vers nouveaux qui manquent à celles-ci. Des discussions passionnées se sont établies entre les critiques d’Angleterre, d’Allemagne et d’Amérique sur la question de savoir si ces nombreuses modifications ont été opérées par Shakespeare lui-même, ou si elles sont l’œuvre de ses éditeurs. Ceux qui les attribuent à l’auteur font remarquer que les passages ajoutés sont d’un style tout Shakespearien. Ceux qui pensent qu’elles ont été improvisées par les éditeurs font observer que les passages omis sont nécessaires à la beauté et à la clarté de l’œuvre, et que Shakespeare n’a pu autoriser ces omissions dégradantes : comment croire que Shakespeare ait raturé de sa propre main deux des plus belles scènes de son drame, celle où le roi Lear traduit Goneril et Régane devant le tribunal de son délire, et celle où le confident de Kent lui peint en vers si touchants l’impression produite sur Cordélia par les malheurs de son père ? Comment admettre que Shakespeare ait supprimé volontairement le monologue indispensable qui termine la scène XVI, et sans lequel nous croirions qu’Edgar doit accompagner le roi Lear à Douvres ? N’est-ce pas une lacune regrettable que l’omission de ce dialogue si caractéristique dans lequel les valets du duc de Cornouailles, plus humains que leur maître, prennent en pitié Glocester aveuglé ? — Voilà les raisons que font valoir les critiques qui attribuent aux éditeurs de Shakespeare les changements posthumes apportés au texte de son drame, et certes ces raisons ont une incontestable valeur. Mais leurs adversaires leur répliquent toujours