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CORIOLAN ET LE ROI LEAR.

gonorill.

— Mon gracieux père ne doutera, je l’espère, — de l’amour d’aucune de ses filles. — Mais, pour ma part, s’il faut vous prouver un dévouement — qui ne saurait être exprimé par de creuses paroles, — je le déclare, j’estime si haut mon amour pour vous — que la vie me semble peu de chose auprès de mon amour. — Quand vous m’enjoindriez de m’attacher une meule de moulin — autour du cou et de me jeter à la mer, — je le ferais volontiers sur un signe de vous. — Oui, pour vous satisfaire, je monterais — sur la tour la plus haute de toute la Bretagne, — et de son sommet je me précipiterais tête baissée. — Bien plus, si vous me sommiez d’épouser — le plus misérable vassal qui soit dans ce vaste univers, — j’obéirais sans réplique. — Bref, signifiez-moi votre désir ; — et si je m’y refuse, je renonce à toute faveur.

leir.

— Oh ! combien tes paroles raniment mon âme mourante !

cordella, à part.

— Oh ! combien j’abhorre cette flatterie !

leir.

— Mais que dit Ragane à la demande de son père ?

ragane.

— Oh ! si ma simple élocution pouvait suffire — à exprimer les vrais sentiments de mon cœur ! — Mais il brûle pour Votre Grâce d’une ardeur de dévouement — qui ne peut s’éteindre que dans son zèle — à se manifester par des preuves extérieures ! — Oh ! si seulement quelque autre fille osait — jeter à mon amour le défi du sien, — je lui ferais bien vite avouer qu’elle n’a jamais eu — pour son père la moitié de l’affection que j’ai pour vous. — Alors mes actes montreraient, d’une manière plus flagrante, — quel est mon zèle envers Votre Grâce. — Mais que cette preuve suffise à défaut de toute autre, — pour faire éclater mon amour à vos yeux : — j’ai de nobles soupirants, — de race au moins royale, et peut-être aimé-je quelqu’un d’eux. — Eh bien, si vous vouliez que je fisse un nouveau choix, — je réprimerais ma passion et me laisserais gouverner par vous.

leir.

— Philomèle a-t-elle jamais chanté note si suave ?

cordella, à part.

— Jamais la flatterie a-t-elle tenu si faux langage ?

leir.

— Parle maintenant, Cordella, mets le comble à ma joie, — et verse le nectar de tes lèvres emmiellées.