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APPENDICE.

pas pour vous un gage sinistre de malheur, — sachez que mon fils (ô Dieu ! que la vérité me force à l’injurier du nom de mon fils !) n’a rien dit qui ne soit vrai. Mais, outre ces vérités, ceci aussi est vrai : que j’eus en légitime mariage, d’une mère digne de donner le jour à des rois, ce fils (que vous connaissez déjà un peu, mais que vous connaîtrez mieux par ma courte déclaration), et qu’après avoir caressé les espérances que le monde fondait sur lui jusqu’au temps où il était devenu assez grand pour justifier ces espérances (si bien que je n’avais à envier à aucun père cette consolation suprême de l’humanité mortelle, laisser un autre soi-même après soi), je fus entraîné par un mien bâtard (si, du moins, je suis tenu de croire sur parole cette femme vile, ma concubine, sa mère) d’abord à prendre en aversion, puis à haïr, enfin à perdre, à faire tout mon possible pour perdre ce fils qui (je pense que vous le pensez) n’avait pas mérité sa perte. Si je vous disais les moyens qu’il employa pour me déterminer, j’aurais à vous faire le fastidieux récit de la plus venimeuse hypocrisie, de la fraude la plus damnable, de la malice la plus insinuante, de l’ambition la plus perfide, de l’envie la plus souriante que puisse receler le cœur d’un vivant. Mais je laisse cela de côté : le souvenir de mes propres fautes est le seul qui me charme ; récriminer contre ses artifices serait, il me semble, excuser en quelque sorte mon crime, et c’est ce que je répugne à faire. Bref, je donnai à quelques-uns de mes gens, que je croyais aussi disposés que moi-même à ce genre de charité, l’ordre de le mener dans une forêt et de le tuer. Mais ces brigands (plus humains envers mon fils que moi-même) épargnèrent ses jours et le laissèrent échapper, pour qu’il apprît à vivre misérablement : ce qu’il fit en s’engageant comme simple soldat dans la contrée voisine. Mais comme il était près de recevoir un bel avancement