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INTRODUCTION.

la table splendidement servie. Lady Anne feint de vouloir se mettre à côté d’une de ses amies, mais le lord chambellan s’y oppose :

— Vous aller geler ! deux femmes l’une près de l’autre, c’est glacé !

Et, pour réchauffer lady Anne, il fait asseoir lord Sands auprès d’elle. Sands va vite en besogne ; à peine a-t-il échangé quelques paroles avec sa belle voisine qu’il la prend par la taille et l’embrasse. Mais lady Anne ne se scandalise pas pour si peu :

— Vous êtes un joyeux joueur, milord Sands !

— Oui, quand je peux choisir mon jeu.

Et la causerie continue sur ce ton. Les mots vifs, les demi-mots licencieux, les équivoques grivoises prolongent un dialogue de carnaval. Cependant une fanfare éclatante couvre toutes ces folles paroles. Le roy Henry VIII, en costume de berger, une houlette à la main, paraît escorté de douze seigneurs travestis comme lui. Le bal succède au souper. Henry, qui ne connaissait pas lady Anne, est frappé subitement de sa beauté ; il l’enlève à lord Sands, et l’entraîne dans le tourbillon de la danse.

— Voilà la plus jolie main que j’aie jamais touchée, s’écrie-t-il ! Ô beauté, jusqu’ici je ne t’avais pas connue !

Le pas terminé, le roi, tout énamouré de sa danseuse, demande au lord chambellan comment elle se nomme. Le chambellan répond qu’elle est la fille de sir Thomas de Boleyn, et fille d’honneur de la reine.

— Par le ciel ! reprend Sa Majesté, elle est bien friande !… Ma belle, je serais discourtois de vous laisser aller sans vous embrasser.

Et Henry VIII, après lord Sands, met sa bouche sur la bouche de lady Anne. Le cardinal, qui a assisté à tout ce manège, croit deviner la secrète convoitise du roi, et le