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SCÈNE VI.

suis sûr, entendu parler : il laissa après lui deux enfants, moi et une sœur, nés tous deux à la même heure. Plût au ciel que nous eussions fini ensemble une vie commencée ensemble ! Mais vous, monsieur, vous en avez décidé autrement ; car une heure environ avant que vous m’eussiez soustrait au gouffre de la mer, ma sœur était noyée.

antonio.

Hélas ! quel jour !

sébastien.

Bien qu’elle passât pour me ressembler beaucoup, elle était généralement réputée belle personne ; et, bien que je ne puisse trop m’avancer sur la foi de ces merveilleux on-dit, je puis pourtant proclamer hardiment une chose : c’est qu’elle avait une âme que l’envie même était forcée de trouver belle. Hélas ! elle a beau être déjà noyée dans l’eau amère, il faut encore que je noie son souvenir dans une eau plus amère encore !

antonio.

Pardonnez-moi, monsieur, ma chétive hospitalité.

sébastien.

Ô bon Antonio, pardonnez-moi l’embarras que je vous ai donné.

antonio.

Si vous ne voulez pas me blesser à mort dans mon affection, laissez-moi être votre serviteur.

sébastien.

Si vous ne voulez pas défaire ce que vous avez fait, c’est-à-dire perdre celui que vous avez sauvé, n’insistez pas. Adieu, une fois pour toutes ; mon cœur est plein de sensibilité, et je touche encore de si près à ma mère par la tendresse, qu’à la moindre occasion mes yeux sont prêts à me trahir. Je vais à la cour du comte Orsino : adieu.