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LE SOIR DES ROIS ou CE QUE VOUS VOUDREZ.

cruelle souveraine ; — dis-lui que mon amour, plus noble que l’univers, — ne fait aucun cas d’une quantité de terrains fangeux ; — ces biens dont l’a comblée la fortune, dis-lui que je les traite aussi légèrement que la fortune elle-même ; — mais ce qui attire mon âme, c’est cette merveille, — cette perle reine dont l’a parée la nature.

viola.

— Mais, monsieur, si elle ne peut vous aimer ?

le duc.

— Je ne puis accepter cette réponse-là.

viola.

D’honneur, il le faut bien. — Supposons qu’une dame, comme cela peut être, — éprouve pour l’amour de vous des peines de cœur aussi grandes — que celle que vous cause Olivia ; vous ne pouvez l’aimer, — vous le lui dites ; eh bien, ne faut-il pas qu’elle accepte cette réponse ?

le duc.

— Le sein d’une femme — ne saurait supporter les élans de la passion violente — que l’amour m’a mise au cœur ; nul cœur de femme — n’est assez grand pour contenir tant d’émotions ; nul n’est assez vaste. — Hélas ! leur amour peut bien s’appeler un appétit ; — ce qui est ému en elles, ce n’est pas le foie, c’est le palais, — sujet à la satiété, à la répulsion, au dégoût. — Mon cœur, au contraire, est affamé comme la mer, — et peut digérer autant qu’elle. Ne fais pas de comparaison — entre l’amour que peut me porter une femme — et celui que j’ai pour Olivia.

viola.

Oui, mais je sais…

le duc.

Que sais-tu !