Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Hugo, Pagnerre, 1873, tome 14.djvu/38

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
34
LES FARCES.

dans une caisse remplie de papiers de famille précieux que la femme fait emporter de la maison incendiée par le mari. Sur quoi les deux adultères s’enfuient en Portugal et le mari meurt de désespoir. En 1590, le conte italien est popularisé en Angleterre par la publication des Nouvelles du Purgatoire de Tarleton, le narrateur anglais paraphrase le récit de Straparole[1], et le reproduit presque servilement, en essayant toutefois, — précaution qui lui fait honneur, — de pallier la faute de l’épouse, qu’il représente comme mariée toute jeune et contre son gré à un docteur de quatre-vingts ans. C’est probablement par cette version d’un compatriote que Shakespeare a connu le récit italien. Mais le grand poëte n’a accepté ce récit que pour le transfigurer. S’il a adopté l’intrigue, ce n’a été qu’à la condition d’en éliminer la circonstance immorale, l’adultère de la femme, et la circonstance odieuse, la mort du mari.

C’est une étude infiniment curieuse d’examiner ce que devient la donnée italienne, traitée par ces deux génies si divers, le génie anglais et le génie français. Molière, dans l’École des femmes, s’empare de la fable même que Shakespeare s’approprie ici. Or Molière est d’accord avec Shakespeare pour dépouiller la fable de sa conclusion tragique ; ainsi que Shakespeare, Molière tient à éliminer la circonstance aggravante de l’adultère, et il y parvient, autrement que Shakespeare, en modifiant radicalement la relation de la trompeuse avec le trompé : Arnophle n’est pas pour Agnès un mari, mais un soupirant ; et cette situation permet à la jeune fille de se donner sans crime à Horace, qu’elle préfère. Mais Molière a eu beau fournir cette excuse à Agnès ; il a eu beau exagérer les travers ridicules d’Arnolphe ; la déconvenue du vieil-

  1. Voir le conte de Tarleton à l’Appendice.